TEXTES
CRITIQUES
Malaika Temba, Les Feux du Mont Kilimandjaro à la Galerie lilia ben salah
Revue Point Contemporain
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Ici, la foule est dense, le soleil est chaud, on entendrait presque le bruit des moteurs et les échoppiers héler les clients. Des arbres, des scooters tentant de se frayer un passage dans la foule, des sacs étalés au sol, un ventilateur au fond d’une échoppe, un homme essayant un chapeau, des enseignes en swahili. La scène est bruyante, dévoilant une profusion de détails. Des détails que Daniel Arasse* nous conseillerait d’étudier de plus près… Parfois peints, parfois brodés au feutre, ces ajouts de matières créent du volume, de la texture et davantage de perspective à l’ensemble. La richesse des nuances au sein d’un seul et même motif qu’il soit tissé ou peint, renforce le dynamisme de la composition. Là bas, sur des portes cabossées de tracteurs, elle fait émerger de fines broderies d’un bleu azur sur un fin tulle blanc. Malaika travaille ainsi couche par couche, à l’image des différentes peaux qui composent son identité, dessinant la trame d’une histoire plurielle.
Vivant et travaillant à New York, d’origine tanzanienne par son père, elle a vécu enfant dans différents pays d’Afrique, Ouganda, Maroc, Arabie saoudite, Afrique du Sud. Les histoires qu’elle tisse prennent racines dans la pluralité de culture qui l’habitent. Ici les frontières n’existent plus. Son travail mêle les références culturelles, du lato milk d’Ouganda aux vieilles carrosseries d’un tracteur américain, des motifs, une texture et des couleurs vibrantes, inspirés par son enfance en Afrique à l’esthétique de la sérigraphie postindustrielle américaine. Les motifs souvent répétés qui apparaissent dans ses compositions, nous alertent aussi, où que nous nous situons dans le monde, sur notre consommation à outrance de ressources non renouvelables.
Entre peinture, tissage, sérigraphie et photographie, l’oeuvre de Malaika Temba fait dialoguer les matières autant que les cultures en rendant hommage aux femmes de la diaspora, premières touchées par les crises économiques et environnementales. Son travail délicat aux couleurs douces et harmonieuses pointe ainsi des disparités économiques tangibles et alerte sur l’urgence de préserver notre vie sur terre.
Margaux Meyer, Sous la régulation du coeur à la Galerie Chloé Salgado
Revue Point Contemporain
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Lorsque nous rentrons dans la Galerie Chloé Salgado, nous nous trouvons face à une peinture étrange et quelques peu perturbante. Le spectateur ne décèlera peut être pas tout de suite de quoi il s’agit mais petit à petit en suivant les lignes brunes et leur trajet sinueux, il ne tardera pas à y voir des intestins. Un motif plutôt ragoutant, très peu représenté en peinture si ce n’est lors d’études d’anatomie. Le nom de l’oeuvre questionne également : We should say Ily like farts, autrement dit « dire je t’aime devrait sortir comme des gazs ». Une phrase entendue par l’artiste à la radio, qui lui a tout de suite paru être une évidence. Pourquoi ne pas dire je t’aime aussi spontanément que lorsque l’on pète ? Pourquoi devoir réguler les battements de notre coeur ?
Par la douceur du tracé et par quelques petites bulles d’air qui prennent la forme de coeurs, Margaux Meyer parvient ici à rendre le dégoût poétique. Ses guts (boyau) montrent son gut (courage, audace) de représenter des entrailles, sujet qui n’avait jamais Sans titre (We should say ily like farts, Margaux Meyer, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo : Aurélien Mole été digne d’une représentation artistique. Mais la peinture n’est ni sale, ni ragoutante, le tracé est doux, les couleurs délicates. Le coeur bat dans l’intestin.
Nos émotions, nos intuitions s’expriment à travers nos intestins. Digérer une rupture, ruminer à l’idée d’un rendez vous raté, avaler ses paroles. Tous ses verbes qui décrivent les actions de l’intestin décrivent aussi très justement des actions de l’esprit. Margaux nous donne une leçon d’anatomie sensible et poétique qui nous plonge dans les profondeurs de l’organisme et de l’âme.
Passant du corps à l’esprit, de la métaphysique au physiologique, cette oeuvre est peut être celle qui résume le mieux l’esthétique de l’artiste. Une esthétique qui ne cesse d’aller et venir entre ce qu’il se passe à l’extérieur et ce que l’on ressent à l’intérieur.
Moffat Takadiwa, De ton plastique j'en ai fait de l'or, à la Galerie Semiose
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La langue Shona, parlée au Zimbabwe, est née d’une stratégie coloniale de division. Il s’agit d’une langue créée de toutes pièces par les colons afin de mieux asseoir leur domination. En adoptant la même posture, c’est à dire par un processus de création qui consiste à diviser et séparer les éléments d’un tout, Moffat Takadiwa démantèle ici le langage qwerty, symbole de la mondialisation et souvenir de la colonisation du Zimbabwe, pour créer de nouveaux abécédaires libres de toute contrainte politique, économique et culturelle. Il ajoute aussi à l’intérieur de certaines touches de claviers des fragments de billets de banque afin de dénoncer la dévaluation du dollar au Zimbabwe.
Depuis l’hyperinflation de 2000, le Zimbabwe connait un taux d’inflation exorbitant qui encourage l’économie informelle ce qui ne cesse de dévaluer la monnaie locale. En 2021, par exemple, le nouveau billet de 50 dollars était encore insuffisant pour s’acheter une miche de pain.Le titre de l’exposition, Zéro Zéro, fait écho à cette autre problématique 3 majeure en présentant également de nouvelles oeuvres, des fragments de mobilier colonial brûlé où l’artiste sculpte, à l’aide d’une multitude de clous, des motifs et écritures que l’on retrouve sur les pièces de monnaie. Des pièces moins impressionnantes mais qui ont le mérite de dévoiler de nouveaux essais plastiques.
Pour assembler ses oeuvres, Moffat trie, nettoie puis perce un trou dans chaque élément afin d’y enfiler de petits fils de pêche en plastique.. Ce trou qui vient percer le clavier en même temps qu’il perce la culture occidentale est décrit par Holly Jerger comme un espace métaphorique de résistance et de transformation.Venant recouvrir, abimer et coloniser les paysages du 4 Zimbabwe, ses amas de claviers qwerty et de fragments de dollars sont démantelés, percés pour être transformés et sublimés par Moffat Takadiwa qui renverse ainsi plastiquement les relations de pouvoir.
Lucile Saurel, Le Chant des Chimères
Texte curatorial
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L’Homme n’a jamais cessé de se raconter des histoires. Depuis la nuit des temps, nos valeurs, nos croyances sont relatées à travers mythes, proverbes et expressions populaires. Lucile est fascinée par ce qui nous construit, par ce qui nous guide, par ce qui fait l’être. Enfant, elle avalait les livres, cherchant à capter l’essence, le sens que chaque personnage cherche à donner à sa vie. Qu’est-ce-que l’humanité ? Que peut-on dire de nous ? Quelles sortes de créatures sommes-nous ? On ressent dans les toiles de Lucile Saurel, les multiples tensions qui peuvent cohabiter en nous, les contradictions qui nous hantent, les multiples personnalités qui constituent notre être.
Parfois sombres, parfois lumineuses, ces différentes parts nous éclairent sur ce que nous sommes au delà des apparences…
Des créatures hybrides belles et monstrueuses sortent de son monde intérieur. Dans ses rêves, le même sujet revient, il se décline à l’infini. Les Danaïdes la hantent.
France-Lan Lê Vu, Ce qu'il reste
Texte curatorial
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Avant l’ère industrielle, des abris en pierre sèche étaient construits au milieu des champs pour les cultivateurs saisonniers. Le temps passe, les machines remplacent les pioches ; les cabottes en pierre sèche sont laissées à l’abandon. France-Lan Lê Vu photographie ces vieilles bâtisses peu à peu dévorées par la végétation environnante. A l’image de la glaneuse, qui ramasse à l’issue des moissons, les épis de blé oubliés, elle cueille des pétales de coquelicots qui lui serviront à la réalisation de ses images. Elle macère ses récoltes, imbibe le pinceau du jus obtenu, pour en badigeonner le papier et le recouvre ensuite d’un négatif. L’ensemble est exposé plusieurs jours au soleil, afin que l’image se révèle. Les images ainsi obtenues demeurent sensibles à la lumière et s’estompent au fil du temps au même titre que leur sujet dévoré par la végétation.
En réactivant le geste de la glaneuse et en créant des oeuvres éphémères France-Lan Lê Vu se place en rupture vis-à-vis du mode de production actuelle des images. Elle valorise un geste intimement lié au rythme de la terre. Un geste qui dénonce un point de non retour lié à notre surconsommation. La nature reprend ici ses droits sur la culture. France-Lan Lê Vu nous invite à revenir à l’essentiel, aux gestes primaires qui ont permis à l’homme de se développer et de travailler la matière pour créer.